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Ces accords de libre-échange qui s’attaquent à l’environnement

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arton944-e71c2Depuis quelques années, l’Union européenne multiplie les négociations et la signature d’accords de libre-échange et d’investissement avec de nombreux pays de la planète. A l’occasion de l’ouverture des négociations avec les Etats-Unis, Alter-Echos (www.alter-echos.org) a décidé d’interroger Stuart Trew du Conseil des Canadiens, témoin privilégié des négociations en cours entre l’Union européenne et le Canada mais aussi des effets de l’Accord de libre-échange nord-américain entré en vigueur le 1er janvier 1994. Transparence, démocratie, droits sociaux, régulations environnementales… Voici un tour d’horizon.

 

Cela fait quatre années qu’un accord de libre-échange est en cours de négociations entre l’Union européenne et le Canada dans une totale opacité, et sans que l’on sache très bien où en sont les négociations. Sont-elles bloquées ? Vont-elles aboutir ? Quel est votre sentiment ?

Selon les dernières informations obtenues en marge du sommet du G8 en Irlande du Nord (17 – 19 juin 2013), les négociations sur « l’Accord économique et commercial global »1 entre le Canada et l’Union européenne (UE) sont toujours bloquées. La semaine précédente, le premier Ministre canadien a essayé d’obtenir le soutien des gouvernements français, anglais et irlandais sur les exigences canadiennes relatives aux exportations de viande vers l’Europe, mais il est difficile de savoir précisément ce qui coince. Le dernier cycle complet de négociations qui a eu lieu au Canada en octobre 2012 fut également la dernière occasion où les groupes de la société civile ont pu participer à une session d’information organisée par le gouvernement canadien sur l’état des négociations. Depuis, nous avons procédé à plusieurs demandes pour obtenir de nouvelles sessions de mises à jour, mais il n’y a plus aucune volonté de faire œuvre de transparence publique. Ils baissent la tête et essaient d’accélérer les choses pour obtenir un accord. A bien des égards, ce n’est pas notre plus gros problème.

En fait, nous nous félicitons des retards en coulisse et nous espérons qu’ils persistent. Notre objectif a été et continuera d’être d’informer les Canadiens sur la façon dont ces négociations, et les accords de libre-échange en général, portent finalement moins sur le commerce que sur l’extension des droits et des pouvoirs des multinationales au détriment des décisions souveraines des populations des deux côtés de l’Atlantique. C’est ce que nous avons fait depuis 2009, en partenariat avec de nombreux alliés au Canada et en Europe, avec différents niveaux de succès. Notre travail avec les collectivités locales a été très satisfaisant. Par le travail effectué avec nos groupes locaux et des alliés tels que les syndicats et les groupes environnementaux, nous avons été en mesure de parler avec les élus locaux des impacts directs qu’un tel accord allait avoir sur leur collectivité. L’introduction de règles de passation de marché qui promeuvent « l’achat local » pourrait être rendue difficile. Et si de telles règles ne sont pas du tout généralisées au Canada, elles sont toujours possibles et de nombreuses personnalités locales ne pouvaient pas croire qu’elles seraient interdites à travers un tel accord. Plus de 80 autorités locales ont adopté des motions ou des déclarations affirmant qu’elles étaient très préoccupés par un tel accord, et plus de 50 d’entre elles réclament d’être exclues complètement des prérogatives d’un tel accord. Ce fut une grande victoire pour nous, sur laquelle nous pourrons construire s’ils parviennent à un accord.

 

Avec d’autres organisations, vous avez récemment publié un rapport intitulé Le droit de dire non portant sur les menaces créées par le projet d’accord entre l’UE et le Canada, sur tout moratoire, restriction ou interdiction de la fracturation hydraulique, en insistant sur les droits excessifs donnés aux entreprises multinationales. Pourriez-vous préciser ?

On peut considérer que l’un des premiers accords sur l’investissement, même si ce n’est pas le tout premier, se trouve dans le chapitre 11 de l’Alena (Accord de libre-échange nord-américain). A l’époque, les militants travaillant sur les politiques commerciales n’ont pas particulièrement fait attention à ce chapitre sur lequel les entreprises se sont très vite appuyées pour contester les politiques environnementales au Canada et au Mexique, en gagnant dans certains cas. Ainsi, les investisseurs américains ont utilisé l’Alena pour contester une interdiction canadienne sur le commerce des PCB, une interdiction du commerce des carburants contenant la neurotoxine MMT, et une décision concernant un plan local d’urbanisme au Mexique qui stoppait la construction d’une décharge publique toxique. Ces cas, comme dans la plupart des arbitrages dans le cadre de traités d’investissement, se déroulent hors du système juridique normal et les décisions sont prises par des tribunaux ad hoc rémunérés sans grande transparence et responsabilité. Leurs décisions sont en revanche définitives.

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L’expérience de l’Alena a encouragé les militants canadiens travaillant sur les politiques commerciales à s’opposer aux efforts de l’OCDE pour généraliser le régime des droits des investisseurs à travers l’Accord multilatéral sur les investissements (AMI). Grâce à une incroyable mobilisation transfrontalière en France, aux Etats-Unis, au Canada et ailleurs, le mouvement altermondialiste a obtenu une grande victoire lorsque l’AMI s’est effondré par manque de soutien politique. Malheureusement, un tel programme a progressé à travers les traités bilatéraux. Le Canada est le sixième pays le plus poursuivi dans le monde en vertu de ces règles de droit favorable au secteur privé incluses dans les accords commerciaux.

Les poursuites entamées par Lone Pine contre le moratoire québécois bloquant les explorations et l’exploitation des gaz de schiste dans la Vallée du Saint-Laurent, pour lequel l’entreprise demande 250 millions de dollars de compensation pour la perte de profits attendus, est de loin le cas le plus flagrant au Canada où des investisseurs utilisent ce dispositif pour contester des décisions environnementales complètement raisonnables et soutenues par la population. Ces poursuites ont déclenché une vague d’indignation au Canada et une campagne de courriers contre l’entreprise afin de lui faire abandonner ses poursuites.

Cela a également aidé à susciter une réaction négative contre les traités d’investissement et les chapitres de protection des investisseurs comme celui que le Canada et l’UE souhaitent inclure dans l’accord en cours de négociation. Nous avons pu lire des versions « fuitées » de ce chapitre sur les investissements et, à certains égards, il serait bien pire que celui de l’Alena en termes d’opportunités offertes aux entreprises pour contrecarrer les gouvernements qui voudraient se pencher sérieusement sur la fracturation hydraulique, ou les communautés locales qui, comme en Grèce ou Roumanie, s’opposent à des grands projets miniers menés par des entreprises canadiennes.

Cet accord UE-Canada serait un puissant outil pour les entreprises minières, gazières et pétrolières canadiennes pour poursuivre l’UE dès que leurs profits seraient compromis par des mesures environnementales. En fait, c’est précisément la raison pour laquelle le gouvernement canadien négocie ces protections dans les accords commerciaux avec les pays africains et latino-américains. Pourquoi ne serait-ce pas le cas avec l’Union européenne ?

L’Allemagne est un cas d’école de ce à quoi les Européens peuvent s’attendre avec l’Accord UE-Canada. L’Allemagne a déjà fait face à deux poursuites sur les investissements liées à l’environnement de la part de Vattenfall. Le gouvernement allemand a réglé le premier cas pour un montant inconnu et en réduisant ses normes environnementales pour une centrale électrique à Hambourg. Le deuxième cas porte contre la décision allemande de sortir du nucléaire. Comment de tels traités peuvent-ils donner aux entreprises le droit d’être indemnisées, alors que les décisions avaient été prises démocratiquement ? C’est absurde.

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Les pays membres de l’UE se sont récemment mis d’accord sur un mandat commun pour entamer des négociations pour un accord commercial et d’investissements avec les Etats-Unis. En France, la majeure partie des discussions ont porté sur l’exception culturelle, avec l’objectif de sortir du mandat une série de biens et services culturels. Beaucoup moins sur d’autres sujets comme l’agriculture (OGM, hormones…), l’énergie, les ressources naturelles, les normes sociales et environnementales. Quels sont les enjeux ?

Les secteurs canadiens et américains de l’agriculture sont fortement intégrés. A quelques exceptions près comme le blé et la luzerne au Canada, la plupart de nos cultures traditionnelles contiennent un certain niveau d’OGM. Dans le cas du colza, il me semble que la quasi-totalité de la production est génétiquement modifiée. Le bœuf canadien et les produits de transformation du porc sont également des marchés intégrés avec les Etats-Unis, sur la base des normes américaines. La majorité de la viande a été traitée aux hormones ou, dans le cas du porc, avec des antibiotiques interdits en Europe si je me souviens bien. Les négociateurs canadiens se sont précipités dans les pourparlers avec l’UE en espérant contourner les normes alimentaires européennes. C’était très important pour des groupes et lobbies agricoles au Canada, comprenant de nombreuses entreprises comme Cargill. Raison pour laquelle elles soutiennent également les négociations UE – Etats-Unis. Qu’ils aient réussi ou pas, nous ne le savons pas avec certitude. Il est possible que l’UE ait exclu les OGM de l’accord. Il est probable que l’UE augmente ses quotas de viande non traitées pour les producteurs canadiens. Au final, nous pourrions avoir plus de produits sans hormone dans les épiceries canadiennes mais jusqu’à présent, c’est principalement un produit d’exportation.

Que ce soit dans l’accord UE – Canada ou UE – Etats-Unis, les grands lobbies agricoles aurons de nouveaux outils pour contrecarrer la politique alimentaire européenne. Il y aura les chapitres de l’OMC sur les obstacles techniques au commerce et sur les normes sanitaires et phytosanitaires relatives aux normes alimentaires et aux mesures de contrôle. Si les différends sur ces sujets sont jugés à travers le mécanisme d’arbitrage de l’accord UE – Canada plutôt qu’à l’OMC, cela pourrait encore réduire l’espace dont les gouvernements disposent pour établir leurs propres politiques.

L’accord UE-Canada comprendra un chapitre sur la coopération règlementaire, à travers lequel le gouvernement canadien pourrait avoir plus que son mot à dire dans la production de régulations et normes européennes, un accès à toutes les données scientifiques utilisées pour justifier telle ou telle politique, et des opportunités pour lutter contre des politiques qui ne conviendraient pas à des secteurs exportateurs canadiens. Cela ne conduira pas seulement à de nouveaux retards dans la politique alimentaire mais également dans la mise en place de mesures environnementales qui ne conviendraient pas au Canada, comme par exemple la directive sur la qualité des carburants. Notre gouvernement est tellement en colère à propos de cette politique établissant des normes sur les carburants, pourtant par ailleurs modeste, qu’il a menacé de mener l’UE devant l’OMC si elle devait appliquer un taux élevé de carbone au pétrole issu des sables bitumineux. L’accord UE-Canada, dans la mesure où il est biaisé en faveur des échanges commerciaux et des investissements, et restrictif sur les capacités des gouvernements à réduire leurs émissions et protéger l’environnement, pourrait être dangereux pour l’UE, tout en créant un précédent fâcheux en perspective des négociations à venir entre l’UE et les Etats-Unis.

 

Alors que l’UE prétend être à la tête de la lutte contre le changement climatique, elle s’engage dans des négociations avec le Canada et les Etats-Unis dont les politiques climat sont parmi les pires de la planète et dont la seule préoccupation est d’extraire plus de gaz et pétrole de schiste et de sables bitumineux. Qu’en pensez-vous ? Faut-il exiger des clauses en matière de climat ?

Il n’y a pas de chapitre sur le développement durable dans les accords de libre-échange canadiens ou américains. Pendant un certain temps, il semblait que l’insistance européenne pour inclure un tel chapitre dans l’accord avec le Canada, incluant des chapitres sur le travail et l’environnement et en les rendant exécutoires, pouvait être un aspect positif. Mais nous avons vu dès le début que le Canada était mal à l’aise et il a repoussé l’inclusion du protocole de Kyoto et de plusieurs autres traités dans le projet d’accord UE-Canada. Et ce alors qu’il existe une liste d’accords multilatéraux sur l’environnement qui sont à prendre en considération et à mettre en balance avec les obligations commerciales et d’investissement en cas d’un différend sur la politique environnementale. Nous ne savons pas où en sont ces négociations à l’heure actuelle. Mais je ne pense pas que nous devrions mettre trop de force dans le soutien d’un chapitre sur le développement durable et penser qu’un tel chapitre serait un antidote aux effets extrêmes de la libéralisation du commerce et des investissements sur les salariés, l’environnement, la pauvreté et les inégalités.

L’objectif ultime des accords de libre-échange est de réduire les attentes des populations d’amélioration de l’existence, de protection de l’environnement, et plus généralement de répartition de la richesse de façon égalitaire. Par exemple, depuis l’Alena, le Canada n’a pas mis en place une nouvelle politique sociale importante malgré le besoin évident d’un service public de la petite enfance accessible, ou d’un plan de luttes contre la drogue, etc. Les gouvernements fédéraux successifs ont évité d’introduire de nouvelles réglementations portant sur les sables bitumineux ou les activités minières, ou d’autres industries extrêmement polluantes, parce qu’ils sont inquiets que cela déclenche des différends commerciaux. Mais je ne pense pas que cela soit exclusif du Canada ou des Etats-Unis.

Vous dites que la seule préoccupation du Canada est d’extraire plus de pétrole. C’est vrai mais cela est également une des plus grandes préoccupations de l’UE quand elle sollicite le Canada et les Etats-Unis pour signer des accords commerciaux. Dans les mandats de négociations pour ces deux accords, l’UE affirme qu’elle cherche à sécuriser son accès aux sources d’énergies et ressources naturelles. Les protections des investisseurs dans le cadre de l’accord UE-Canada rendront certainement plus facile les actions des entreprises minières et énergétiques nord-américaines pour punir les gouvernements européens qui voudraient s’immiscer sur la route de leurs futurs profits. Mais l’accord UE-Canada rendra également difficile toute possibilité pour les autorités canadiennes, qu’elles soient locales ou fédérales, de sortir des énergies fossiles. Nous avons donc une responsabilité commune de travailler ensemble à travers l’Atlantique pour nous opposer aux accords de libre-échange qui manifestent un intérêt de pure forme à l’environnement, aux droits humains et au droit du travail, pendant que tous les obstacles à l’exploitation insoutenable des énergies fossiles sont levés.

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De telles négociations sont toujours menées en totale opacité, mais elles se font au nom des populations des Etats impliqués dans les négociations. Que peut-il être fait pour avoir accès au contenu des négociations ? Qu’attendez-vous de la société civile européenne en termes d’initiatives et de mobilisations sur ces accords commerciaux ?

Il y a eu de nombreuses coopérations transatlantiques à propos des négociations UE-Canada, qui remontent à 2010, quand le réseau Trade Justice (Canada) et le réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC) se sont rendus à Bruxelles pour l’une des réunions de négociations, afin de rencontrer la société civile européenne et les membres du Parlement européen, mais aussi pour rencontrer les négociateurs canadiens qui avaient commencer à informer les groupes de la société civile. C’était quelques mois après avoir publié une version du texte de négociations entre l’UE et le Canada, et nous avions pu voir que le texte n’était pas prêt de satisfaire la liste des principes pour un accord commercial juste, que 32 organisations canadiennes avaient proposée.

Au retour de notre voyage à Bruxelles, nous sommes restés en contact étroits avec le réseau Seattle to Brussels, la Via Campesina, les syndicats européens et Attac France, l’Aitec et les Amis de la Terre intervenant au cours des cycles de négociations ultérieurs en rendant publiques plusieurs déclarations transatlantiques, notamment sur le chapitre des droits des investisseurs. Ces relations ont été extrêmement précieuses et je crois qu’elles vont devenir encore plus fortes maintenant que les discussions entre l’UE et les Etats-Unis ont débuté. A certains égards, c’est le scénario idéal, puisqu’il ne peut que rapprocher nos mouvements, nous obligeant à tisser des liens entre ce qui est souvent perçu comme des négociations séparées mais qui sont clairement les composantes d’une même consolidation du pouvoir du secteur privé et de la mondialisation néolibérale.

 

Propos reccueillis par Alter-Echos (www.alter-echos.org)

L’intégralité de cette interview est disponible en anglais dans ce document .pdf.

 

1En anglais, Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA)


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